Paul Hindemith (1895-1963) est un compositeur un peu délaissé dans la modernité musicale. Pourtant, il demeure une voie intéressante à son époque pour sortir du romantisme. Certes, il est emprunt d’un esprit particulier qui pose une lecture non complaisante de la condition humaine : ironie froide, lecture détachée, facture désenchantée. Cardillac, d'après la nouvelle d'E.T.A. Hoffmann (Mademoiselle de Scudéry tirée du recueil Contes des frères Sérapion), est l’oeuvre d’un musicien d’une trentaine d’années. Composée en 1926, (révisée ensuite en 1952), l'opéra met en avant l'idéal esthétique de Hindemith avec ce qu’on a appelé la « nouvelle objectivité ». Hindemith veut créer une musique autonome libre et expressive. L’œuvre s’inscrit dans un monde musical en pleine éclosion. A la même époque, Erwartung de Schönberg (1924), Doktor Faust de Busoni (1925), Wozzeck de Berg (1925), Turandot de Puccini (1926), L’Affaire Makropoulos de Janacek (1926) virent le jour. Créée à Dresde par Fritz Busch, Cardillac sera dirigé notamment par Otto Klemperer à Wiesbaden et Berlin. L’intrigue se passe dans un hôtel de grande classe où déambulent les protagonistes inquiets par les agissements d’un assassin-artiste. L’on pense évidemment aux films de Fritz Lang M le maudit et Mabuse et en général, aux films expressionnistes. Toute une époque fascinante préoccupée par un ordre social déshumanisé, une irrationalité latente, des foules prêtes à sombrer dans le lynchage. Filmé à l’Opéra national de Paris en 2005, Cardillac offre une mise en scène et des décors dans le cadre du Paris des années folles. Un peu trop froid et imposant mais logique. Kent Nagano dirige la partition avec fougue. Les interprètes, fort heureusement, parviennent à tenir le haut du pavé. Alan Held est un Cardillac impressionnant par sa carrure, sa voix et son jeu de scène. Hanna Esther Minutillo dans le rôle de la Dame et Angela Denoke dans celui de la Fille sont remarquables. Le problème vient de la réalisation en vidéo de Chloé Perlemuter qui s’amuse par instants à nous montrer les machinistes poussant les décors, volonté de faire dans une sorte de déconstruction fortement agaçante et snob, même s’il y eut un précédent avec Patrice Chéreau à Bayreuth pour la captation de la tétralogie de Wagner par Brian Large, voilà plus de trente ans déjà. Le bonus « Découvrir un opéra, Cardillac » est un peu ridicule avec ses intervenants Gérard Mortier, André Engel et Nicky Rieti qui semblent disserter sur l’opéra tout en le regardant en même temps… Bref, un DVD imparfait mais un opéra rare de nos jours.
Yannick Rolandeau |