Opus Haute Définition e-magazine

Zoom sur…

Opus Haute Définition e-magazine numéro 19, 25 novembre 2006

Ph. Manoury

La Ville (Première Sonate)

Jean-François Heisser (piano)

Praga Digitals PRD 250 207, Harmonia Mundi Distribution

Super Audio CD hybride stéréo/multicanal

Revenons ici sur un disque de piano, passé quasiment inaperçu lors de sa parution en 2004 et qui pourtant, présente des valeurs artistiques et techniques indéniables. Il s'agit de l'oeuvre "La Ville" (Première Sonate...) du compositeur français Philippe Manoury. Né en juin 1952, ce dernier devient, après des études au Conservatoire de Paris, une figure essentielle de l'Ircam. Auteur de plusieurs partitions pour orchestre, avec notamment "La Partition du ciel et de l'enfer" (1989) pour orchestre et système temps-réel, "Prélude" (1992) pour grand orchestre ou encore "Pentaphone" (1992), cinq pièces pour orchestre, Manoury est également présent sur la scène lyrique avec son deuxième opéra "K..." inspiré par "Le Procès" du célèbre écrivain Franz Kafka. L'oeuvre qui nous occupe ici est une longue pièce pour piano d'une quarantaine de minutes environ, faisant aussi référence à Kafka. Elle est, selon le compositeur, "une sorte de postlude à K..., une ballade hors du temps, un hommage rendu aux quartiers historiques de Prague hantés par l'ombre de Kafka, labyrinthe tant psychologique que construction apparemment abstraite à l'étrange pouvoir de fascination". Et il est vrai que Philippe Manoury transcrit en notes, avec une acuité saisissante, l'atmosphère de doute et de mystère que l'écrivain sut si bien rendre avec des mots. Sa partition à la fois ample et courte suit les traces de la Sonate en si mineur de Franz Liszt et celles de l'univers d'Alban Berg. "J'ai donné à cette construction abstraite le titre "La Ville". En sous-titre : (Première Sonate). Ma promenade dans ce vieux quartier de Prague, le souvenir de la sonate de Liszt et des formes bergiennes en ont été les préambules", confie le compositeur. Au piano, Jean-François Heisser, le dédicataire de l'oeuvre, embrasse la richesse de la partition avec intelligence et subtilité. Son interprétation révèle des accents méditatifs d'une rare profondeur, faisant surgir un univers intérieur porteur d'une lumière unique. La musique prend alors une dimension humaine au cœur de laquelle nous retrouvons la richesse des sentiments universels. Manoury fait de son œuvre une sorte d'ouverture pour un monde oublié dont la clef serait nos propres désirs. Ceux du savoir, de la connaissance, du partage d’une culture autre. Celle qui éveille la sensibilité jusqu’à l’épanouissement du cœur et des pensées. Celle qui nous offre, tout simplement, la différence d’être ce que nous sommes. A ce titre sa Sonate est unique. Comme je l'ai évoqué en préambule, ce disque est aussi une prouesse technique. Avec une prise de son en pur DSD, rarement, voire jamais un piano n'avait été capté avec un rendu sonore aussi superlatif. Parvenant à atteindre 93 DB sur les fortissimos, l'ingénieur du son René Gambini, restitue pleinement et de façon exemplaire toute la richesse harmonique de l'instrument. Et le résultat est tout simplement époustouflant. Je laisse aux amateurs, le soin d'apprécier pareille prouesse. Voici donc un Super Audio CD unique et incontournable, car dans l’histoire de la musique enregistrée, une telle adéquation entre art et technique est chose rare.

Jean-Jacques Millo

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