Opus Haute Définition e-magazine

Interview

Opus Haute Définition e-magazine, 28 avril 2009

Vittorio Forte, la liberté au bout des doigts

Vous venez de faire paraître votre premier enregistrement. Pourquoi avoir choisi Clementi ?

V. F. Avant tout je tiens à dire que cela n’a pas été un choix d’origine « chauviniste ». D’autant plus que Clementi a passé la plupart de sa vie autour de l’Europe et spécialement en Angleterre. J’ai découvert certaines affinités avec la musique de Clementi il y a une dizaine d’années avec la sonate en fa dièse mineur qui est un vrai chef d’œuvre d’expressivité et de poésie. Pour mon premier disque je voulais rendre hommage à un compositeur qui n’occupe pas assez la place qu’il mérite dans les salles de concert.

Comment avez-vous travaillé ces pièces ? Dans quel esprit ?

V. F. Je n’ai pas fait un travail différent ou particulier sur les œuvres de Clementi, par rapport aux autres œuvres de mon répertoire. Evidemment je me suis penché sur sa vie, le contexte musical et historique de son époque. Par contre durant les mois précédant l’enregistrement j’ai essayé de jouer le plus souvent possible ces œuvres à l’occasion de mes concerts. Cela m’a permis d’enregistrer le disque aisément et en deux prises pratiquement intégrale.

À l’écoute de votre enregistrement il se dégage un sentiment de grande liberté de ton proche de l’improvisation. Qu’en pensez-vous ?

V. F. C’est un de mes objectifs de toutes mes interprétations. La musique n’est pas figé, même au moment d’un enregistrement. Tous les grands compositeurs ont été des exceptionnels improvisateurs et compte tenu du fait que toute partition ne fait que restreindre la pensée imaginative d’un compositeur, j’ai essayé de laisser beaucoup de place à mes « idées instantanées », notamment dans les mouvements lents. Tout cela après un travail d’approfondissement de la partition qui est et reste toujours le support de départ. Ce n’est qu’en la respectant qu’on arrive à trouver des moments de liberté.

Quel est votre parcours de musicien ?

V. F. Absolument pas conventionnel. J’ai très peu fréquenté les conservatoires car ma première expérience dans une institution en Italie ne fut pas très heureuse. J’ai donc toujours privilégié les cours privés et les conseils de professeurs qui avaient vraiment besoin de transmettre quelque chose d’important.

Auprès de qui avez-vous étudié ?

V. F. Parmi ceux qui ont le plus marqué mon évolution pianistique, je dois beaucoup à Christian Favre avec qui j’ai étudié à l’Institut de Ribaupierre à Lausanne. C’est un passionné, un romantique, et le plus important est qu’il sait transmettre cette passion. Il vit profondément la musique et il partage cela avec ses élèves. Dans mon parcours musical personnel, il m’a soutenu pendant des années difficiles. Ensuite en 2005 j’ai eu la chance de rencontrer W. G. Naboré. Ses connaissances et son incroyable expérience m’ont guidé avant que je rentre parmi les rares élus qui ont la chance de faire partie de l’académie internationale du piano du Lac de Come. Dans ce lieux sacré du piano et de la musique, j’ai pu profiter des conseils de Menahem Pressler, Andreas Staier ou encore le génial Fou Ts’Ong.

Avez-vous des références pianistiques du passé ?

V. F. J’ai un regret en tant que pianiste du XXIe siècle. Ne pas avoir pu écouter en direct des pianistes comme Arrau, Benedetti Michelangeli, Guilels ou encore Lipatti. Sans parler de Rachmaninoff. Je pourrais citer encore une dizaine de pianistes de ce génie. La culture de la qualité du son était chez eux primordiale et cela s’entend dans leurs enregistrements. C’est pour moi une quête absolue dans toute interprétation.

À part la musique classique, aimez-vous un autre genre musical ?

V. F. J’ai un faible pour Jacques Brel. Le vrai romantique de la chanson française. Il y a quelque chose de Schumann et de Chopin en lui… !

Parlez-nous d’Intermezzo ? Comment est né ce projet ?

V. F. Intermezzo est au départ une école de musique comme il en existe des centaines en France. Les élèves de tout âge peuvent y apprendre le piano ou le violoncelle (c’était les deux instruments préférés de Chopin n’est ce pas !) Mais au fond j’ai créé cette école avec mon épouse Inès, pianiste également, afin de pouvoir développer des activités musicales plus importantes dans une région, celle de la rive française du Lac Lèman, un peu offusqué par des villes très « musicales » comme Genéve ou Lausanne. C’est pour cela que depuis 2007 nous organisons une très belle saison de concerts dans des lieux magiques de notre région, comme le Château de Coudrée.

Vous intéressez-vous aux techniques de la reproduction du son ?

V. F. Malheureusement pas. Par manque de temps certainement. Dans les métiers artistiques il est très difficile d’élargir ses horizons vers d’autres connaissances car les journées sont toujours trop courtes.

Que pensez-vous du SACD et du son haute définition en multicanal pour la musique classique ?

V. F. Si je ne connais pas les techniques de reproduction du son, je peux affirmer que à l’occasion d’un enregistrement le son est capitale dans la réussite d’un opus discographique. Le sacd permets de réaliser un réel binôme entre la sonorité naturelle du musicien et la qualité technique du support. L’environnement du lieu où s’effectue un enregistrement est essentiel pour un musicien, puisque il adaptera sa sonorité, sa dynamique, ses nuances, ainsi que toute la palette des couleurs dont il dispose, au contexte réel dans lequel il se trouve. Le SACD permet vraiment de traduire cela.

Avez-vous déjà défini un programme de projets discographiques pour les années à venir ?

V. F. Je n’envisage pas les choses dans cet ordre. L’idée de Clementi a été muri en un an environ et j’ai commencé à travailler sur les œuvres du disque neuf mois avant l’enregistrement. Je n’intellectualise jamais mes envies dans le choix d’un répertoire, et après cette merveilleuse première expérience avec Lyrinx je ne pense pas que je planifierais des enregistrements sur le long terme avec une idée fixe.

Quel est le compositeur dont vous aimeriez enregistrer l’œuvre intégrale ?

V. F. Enregistrer l’œuvre intégrale d’un compositeur ce n’est pas rendre service au génie du compositeur en question. Cela a un coté un peu encyclopédique que je redoute. Mais si j’en avais l’occasion, je pense que je choisirais d’enregistrer l’intégrale de l’œuvre de Chopin.

Faites-vous de la musique de chambre ?

V. F. N’ayant pas souvent intégré des institutions je n’ai malheureusement pas fréquenté assez le monde de la musique de chambre. Par contre je pense à la musique de chambre dans chaque œuvre que j’interprète, notamment dans les œuvres de Schubert.

Si oui, avec qui jouez-vous ?

V. F. En revanche, je joue beaucoup en duo quatre mains ou deux pianos avec Inès, mon épouse. Nous explorons ensemble avec bonheur ce répertoire riche de perles rares, et je dois dire que nous formons un tout à l’occasion de ces moments de musique partagés.

A quel compositeur sera consacré votre prochain SACD ?

V. F. Je pense que mon prochain disque sera consacré au Romantisme allemand. J’ai envie de continuer à « improviser » dans un langage différent ! J’aimerais enregistrer entre autre l’op.16, Kreisleriana de Schumann. L’univers schumannien m’a toujours fasciné et dans mon répertoire il garde une place privilégié. Et en plus cette œuvre merveilleuse m’a déjà porté chance plusieurs fois, lors de différents concours ou concerts.

Propos recueillis par Jean-Jacques Millo

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