Codaex est un des plus importants distributeurs de disques classiques en France et à l’étranger. Comment est née cette aventure ? F. S. À l’origine, Codaex est une société belge créée il y a maintenant dix-sept ou dix-huit ans qui a décidé d’ouvrir une filiale en France au début des années 2000. Le PDG de ce petit groupe m’a contacté et presque aussitôt nous nous sommes lancés dans l’aventure. Je dirai qu’en deux mois les bases étaient jetées. Au départ, son nom était Coda, mais pour des raisons de propriété, la société s’est finalement appelée Codaex. Le 2 avril 2001, exactement - je n’ai pas voulu le premier ce qui aurait pu être pris pour un canular - Codaex France voyait le jour. Voilà pour la petite histoire. Combien de labels distribuez-vous sur le territoire français ? F. S. Nous avons commencé tout petit. A l’époque, je venais de la société Média 7/ Musisoft où je gérais le département classique. Lors de la transition, bon nombre de labels comme Chandos, CPO, Dynamic et bien d’autres, ainsi que quelques labels français, m’ont suivi aveuglément, en toute confiance. Aujourd’hui, grâce à notre succès, Codaex représente une cinquantaine de labels environ. Cela va de gros labels comme Bis qui possède 1500 références à des labels plus modestes qui ne demandent qu’à grandir. Parmi tous ces labels, près d’une quinzaine utilise le support SACD. Est-ce une démarche voulue pour défendre une qualité de reproduction sonore mise à mal aujourd’hui, avec notamment le téléchargement sur Internet ? F. S. Il y a une réelle volonté, de la part de ces labels, de s’en tenir au SACD et de tourner le dos à la crise en continuant de croire en l’avenir de ce produit là. Bien évidemment, au niveau français, nous les soutenons fermement. Quand un label décide de sortir, c’est peut-être un peu moins vrai aujourd’hui qu’à l’origine, la version SACD et la version dite normale, nous faisons le choix ensemble de les mettre sur le marché afin d’imposer la version SACD au détriment de l’autre version de moins bonne qualité. Malgré les difficultés actuelles. Cela dit, tout le monde n’est pas équipé de matériel adéquat pour lire le format SACD. Mais notre volonté est de vraiment défendre tous ces labels comme Channel Classics ou encore Lyrinx. Défendre la qualité technique mais aussi artistique. Vous venez, en effet, de signer le label Lyrinx qui enregistre en pur DSD. Comment allez-vous défendre sa position face à la crise du disque ? Et d’une manière générale, comment travaillez-vous vos labels ? F. S. Il faut être conscient aujourd’hui que c’est le disque en général qu’il faut défendre. Et pas uniquement le SACD ou le CD. Nous sommes véritablement dans une crise où l’on ne sait plus trop où aller. Vers le téléchargement ? Vers le SACD ? Aujourd’hui, le CD est à un carrefour sur lequel l’avenir du disque demeure incertain. Et moi-même, en tant que professionnel, je serai bien en peine de vous dire quel chemin prendre, malgré la défense de la qualité que nous avons évoqué auparavant. Je fais le choix de défendre le SACD, mais je fais également le choix de défendre les labels qui n’ont pas les moyens de produire ce support. Et il y en a beaucoup dans ce cas là. Le label Pentatone, qui édite de remarquables enregistrements, également en pur DSD, est un label créé uniquement pour le SACD. Savez-vous quelle est sa position face au téléchargement sur Internet ? F. S. Il est vrai que Pentatone privilégie la technique au détriment, parfois, du bon sens artistique. C’est un peu son défaut. Malgré ça, Pentatone a décidé de s’ouvrir au téléchargement. La perte en qualité sonore sera évidente et les merveilleux enregistrements de ce label risquent d’en pâtir. Mais les contingences économiques sont là et bien là… Pensez-vous, comme certains de vos concurrents que le marché du téléchargement pour la musique classique est incontournable et que le disque n’a plus que deux ans à vivre ? F. S. Tout d’abord ce ne sont pas des concurrents mais des confrères. Mais peut-être est-ce eux qui me voient en concurrent ? Plus sérieusement, je pense que le disque va continuer d’une façon pérenne même si les ventes chutent. J’espère que le téléchargement ne remplacera jamais ce support physique indispensable qu’est le disque. Le disque est un merveilleux objet qui avait déjà pâti de son passage en CD. Il s’est bien rattrapé depuis lorsque les éditeurs ont compris l’importance de l’emballage et de l’information contenue. Quelle information dans un téléchargement ? Vive le CD tel qu’il est ! Je pense que le téléchargement s’adresse beaucoup plus aux musiques modernes sans lien avec l’histoire de l’oeuvre. Mais pour le puriste ou le mélomane le CD doit continuer à exister et continuera à exister. D’autres labels vont-ils se mettre au téléchargement ? F. S. Il y a cinq ans à peine, personne ne voulait en entendre parler. Aujourd’hui, tout le monde a pris conscience de la réalité économique et je crois qu’à l’exception de un ou deux labels faisant de la haute fidélité comme MDG, le label allemand prônant la qualité technologique et artistique, tous les autres vont s’y mettre, comme Bis notamment. Tout le monde y passe. C’est inévitable. Et les artistes ? Que pensent-ils du changement qui s’opère ? F. S. Je pense que les artistes sont complètement perdus. Il y a une barrière entre eux et le producteur, le distributeur, l’acheteur. Ce qui fait que l’artiste reste à l’écart de tout ça. Sa raison d’être aujourd’hui ou du moins ce qui devrait être sa raison d’être, c’est le concert. De plus en plus les artistes évoquent l’enregistrement comme une carte de visite et non plus comme un passeport pour en vivre. Ce qui fait que le concert prend une place de plus en plus prépondérante au détriment du disque. Quelque part c’est le sens même de la musique qui ne restera pas figé sur une galette mais vivra éternellement dans un souvenir. Quel est votre plus grand succès en SACD ? F. S. Julia Fisher. Et ce n’est pas lié au SACD. C’est lié à l’artiste. Néanmoins, je pense que Julia Fisher n’est pas insensible à la qualité sonore de ses enregistrements ? F. S. Absolument. Quand vous possédez un des plus beaux sons de violon au monde, vous ne pouvez qu’être attachée à la qualité technique de l’enregistrement. Mais Julia réfléchit avant tout musicalement et non techniquement. Quel est votre genre de musique préféré ? F. S. Le classique. Et dans le classique c’est plutôt variable. J’ai des périodes où je suis très attaché à la musique baroque, ou à la musique romantique, ou encore à la musique ancienne. En fait, tout dépend de mon état d’esprit de l’instant. J’ai encore du mal avec la musique très contemporaine. Je ne la comprends pas, je ne la ressens pas. Côté DVD, combien de labels travaillez-vous sur ce support ? F. S. Il y en a trois réellement. Ce qui est aujourd’hui la « Rolls Royce » des labels c’est Opus Arte avec une qualité visuelle et sonore exceptionnelle. D’ailleurs, à ce propos, Opus Arte se lance dans la haute définition avec un premier HD DVD consacré au Lac des Cygnes, enregistré à l’Opéra de Paris. C’est absolument magnifique, j’ai eu la chance de voir ça. Quel ballet et quelle qualité technique ! Ensuite il y Dynamic, label italien, qui fait beaucoup d’opéras en live et VAI qui lui est plus centré sur les archives américaines des années cinquante et soixante. Souvent le DVD est prétexte à figer des bandes sans grand recherche éditoriale, ce qui est souvent le cas avec ce dernier. Toujours concernant le DVD, il semblerait qu’un ralentissement de la production se fasse sentir. Pensez-vous que l’on soit arrivé au terme d’un engouement qui dure depuis déjà plusieurs années ? F. S. Oui, je pense que nous sommes à un tournant et certains magasins ont déjà anticipé cette baisse du DVD, commercialement parlant. Bien que nous poursuivons nos sorties, nous constatons en effet un ralentissement des ventes, sauf sur des grosses productions comme celles de l’opéra de Paris ou du Châtelet. Le DVD faiblit lentement mais sûrement. Propos recueillis par Jean-Jacques Millo |