Opus Haute Définition e-magazine

R. Wagner

Tristan et Isolde

René Kollo, Matti Salminen, Johanna Meier, Hermann Becht. Bayreuther Festpsiele. Daniel Baremboïm (dir)

Deutsche Grammophon 00440 073 4321, Universal Distribution

2 DVD stéréo / DTS

Mettre en scène d’une façon anti-romantique un opéra romantique, il fallait oser. Une nouvelle fois, Jean-Pierre Ponnelle réussit un tour de force, simple et pertinent. Tout se passe en vérité à la toute fin de l’opéra, en un seul plan et un seul, où l’on voit Kurwenal tenant Tristan dans ses bras ! Ce qui implique que Tristan a fantasmé la scène des retrouvailles avec Isolde. Il fallait oser (bis). Du coup, cette lecture met certes à bas toute la lecture romantique de l’histoire entre Tristan et Isolde, de l’amour éternel jusque dans la mort. On peut même se demander au fond si cette sorte d’amour n’est pas une pure mystification, un pur délire romantique destiné plus à nous faire rêver de l’amour qu’à nous le faire vivre charnellement. Et là est bien le problème. « Oh, descends vers nous, nuit de l’amour ; Verse l’oubli sur notre vie ! Accueille-nous dans ton sein ; Détache-nous bien loin du monde ! » chante Tristan à un moment, ce qui est dire purement et simplement que l’amour n’est guère de ce monde, précisément parce que cet « amour » nous demande d’oublier ce monde, de nous en détacher. De verser l’oubli sur notre vie ! Et un amour qui peut faire une telle chose, est-ce bien encore de l’amour ? Est-ce bien un amour réel et concret, de ce monde précisément, destiné ici d’un homme à une femme ou d’une femme à un homme ? On a bien l’impression que cette sorte d’amour est bien là pour annuler, pour biffer l’amour véridique et concret, forcément imparfait, que deux êtres peuvent se porter l’un à l’autre et que ces derniers ne sont plus que des mannequins en cire. En quelque sorte de les reléguer aux oubliettes pour vivre un « amour » certes idyllique (quoique fortement macabre tout de même, au-delà de la vie en vérité) mais totalement cérébral et abstrait. Il faut dire aussi que les décors et les costumes de Jean-Pierre Ponnelle sont sublimes et les metteurs en scène actuels devraient plutôt en faire leur exemple plutôt que de nous concocter des mises en scène « modernisantes », soi-disant dépoussiérées dans la pizzeria du coin, dans une clinique ou une salle de chirurgie dernier modèle, ou dans un appartement de standing à Neuilly ou à La Défense. René Kollo en Tristan et Johanna Meier en Isolde sont remarquables. Le roi Marke joué par Matti Salminen et Kurwenal par Hermann Becht sont aussi excellents et le tout est fort crédible. Si l’on ajoute à cela que Daniel Baremboïm est en grande forme, on tient là une vision décapante d’un opéra de Wagner. Une date.

Yannick Rolandeau

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