Les compositeurs d'aujourd'hui, ceux dont les préoccupations sont plutôt d'ordre humaniste, déploient leur énergie pour décrire le chaos de la pensée en employant de façon radicale la technologie moderne qu'ils mettent au service d'une forme musicale reléguant l'émotion à l'âge de pierre. A ce titre, le grand œuvre du compositeur autrichien Bernhard Lang représente une synthèse des plus pertinentes. En trois parties, faisant référence aux trois derniers siècles de notre ère (18, 19 et 20 ème), "Le Théâtre des Répétitions" composé en 2000-2002 et dont la création eut lieu en 2003, se veut l'image d'une diversité universelle tournée vers l'humain. L'œuvre débute avec "hymne à la raison cynique", d'après des textes de Sade et de Huysman. Puis "Parages des voies mortes" en appelle à William S. Burroughs qui témoigne de l'utopie du rêve américain des années soixante. Et enfin la dernière partie se concentre sur "les protocoles du procès de Nuremberg et les témoignages issus de camps de concentration". Bernhard Lang utilise le principe de composition de la répétition pour construire une arche gigantesque sous laquelle tous les possibles semblent se rejoindre. Utilisant la voix comme un instrument à part entière, il donne à son discours musical une urgence imprégnée de brutalité salvatrice. Sa vaste partition n'est alors qu'un immense cri répétitif poussé par l'humanité entière face aux repères désagrégés d'une civilisation meurtrie. Mais ne nous y trompons pas, l'expérience sonore, car c'est bien de cela qu'il s'agit ici, est avant tout éveil des consciences. Une nouvelle fois, le multicanal offre à ce genre de musique un écrin idéal et l’enthousiasme des « acteurs » en présence y trouve leur épanouissement. A découvrir.
Jean-Jacques Millo |