Il n’est pas aisé de s’y retrouver en musique contemporaine. Celle-ci, comme en peinture, est tellement gangrenée par les théories et les concepts que l’on peut s’y perdre et s’y laisser prendre. Par peur d’exclure quiconque, on accepte n’importe qui et c’est à celui qui justifiera sa croûte par un effort, un long travail intellectuel, une « démarche laborieuse ». Et on oubliera présentement ce que l’on écoute car la théorie sert de caution. Pierre Boulez est assez représentatif de cette tendance du « processus intellectuel et intelligent » logé dans l’art contemporain. Frank Scheffer nous propose donc un documentaire sur le compositeur américain, Elliot Carter, né en 1908 à New York. Il doit sa vocation musicale à son intérêt pour la musique moderne dans les années 20. Sa rencontre avec Ives, qui l'encouragea à devenir compositeur, fut décisive. De 1932 à 1935, il travaille avec Nadia Boulanger à l'Ecole normale de musique à Paris. De 1936 à 1940, Carter est directeur musical des ballets Caravan, puis il enseigne à St John's College dans le Maryland. Il enseigna également au Peabody Conservatory, à la Columbia University, au Queens College, à Yale University, à Cornell University et à la Julliard School of Music. A partir de 1937, il publie de nombreux articles sur la musique, rédigeant des chroniques sur la vie musicale américaine dans la revue Modern Music, ainsi que des essais sur différents compositeurs (Ives, Stravinsky, Piston, etc.), sur sa propre musique, sur le jazz, la musique de film, l'opéra ou la situation du compositeur dans la société contemporaine. Ce n'est qu'à la fin des années 40 qu'il parvient à trouver son propre langage, fondé sur le sens de la continuité et sur l'individualisation des différentes couches de la composition. Loin du style américanisant d'un Copland ou d'un Bernstein, mais loin aussi de l'expérience sérielle, Carter est un homme plutôt sympathique et un musicien exigeant (un peu raide toutefois, ce qui explique peut-être son peu de notoriété en général). Le documentaire est fort bien réalisé, émaillé de nombreuses interviews du compositeur mais étrangement, on entend peu sa musique, ce qui nous laisse sur notre faim.
Yannick Rolandeau |