Opus Haute Définition e-magazine

G. F. Haendel

Le Messie

Kerstin Avemo (soprano). Patricia Bardon (alto). Lawrence Zazzo (contre-ténor). Kobie van Rensburg (ténor). Neal Davies (basse).The Choir of Clare College. Freiburger Barockorchester. René Jacobs (direction)

Harmonia Mundi HMC 801928.29, Harmonia Mundi Distribution

2 Super Audio CD hybrides stéréo/multicanal

« La dernière répétition avait été fixée au 7 avril 1741. Seuls quelques parents des choristes des deux cathédrales avaient été admis à y assister et par mesure d’économie on n’avait que faiblement éclairé la salle. Les auditeurs étaient épars çà et là par petits groupes sur les banquettes à demi vides. Une brume glaciale obscurcissait l’immense hall. Mais à peine le bourdon des chœurs, pareil à une cataracte sonore, eut-il commencé à se faire entendre, qu’une chose merveilleuse se produisit. Involontairement les groupes se rapprochèrent. Bientôt ils ne formèrent plus qu’un bloc sombre, attentif, étonné : Il semblait à chaque personne que la puissance de cette musique était trop grande pour elle seule, qu’elle allait être entraînée, emportée. Les auditeurs se serraient de plus en plus, comme s’ils désiraient ne faire qu’un seul corps, n’être qu’une âme et qu’une ouïe, pour recueillir les paroles de la foi exprimée sous une forme toujours nouvelle. Chacun se sentait faible en présence de cette force de la nature et cependant heureux d’être empoigné et soulevé par elle ; un même frisson de joie parcourait toute l’assistance. Lorsque l’Alléluia retentit, tout le monde fut transporté, tout le monde se leva dès les premières notes ; chacun sentait qu’il était impossible de rester cloué au sol lorsqu’une pareille force vous saisissait, chacun se dressait pour mêler sa voix à celle du chœur, pour se rapprocher un peu de Dieu, afin de le servir et le vénérer. Puis les gens s’en allèrent et racontèrent de porte en porte qu’une œuvre musicale comme en n’en avait jamais entendu de semblable sur terre venait de voir le jour. Et la ville frémit de joie et d’impatience à l’idée d’entendre ce chef-d’œuvre ». Voici comment l’écrivain autrichien Stefan Zweig racontait l’avant première du Messie dans son remarquable ouvrage « Les très riches heures de l’humanité ». Vision romantique certes, mais description parfaite du pouvoir de la musique et de « l’état de grâce » propre aux chefs-d’œuvre. Choisissant la version de 1750 avec deux altos, René Jacobs rend un hommage vibrant à une partition musicale essentielle. Cette dernière se décline en trois parties : « La prophétie annonçant la venue du Messie et sa réalisation », « De la passion au triomphe » et « Le rôle du Messie dans la vie après la mort ». Avec une équipe de chanteurs de grande tenue, un chœur exceptionnel et un orchestre qui ne l’est pas moins, René Jacobs parvient à trouver la respiration idéale pour chaque ensemble. Une palette de couleurs orchestrales et de sentiments humains s’égrène alors comme un chapelet sonore et nous offre l’évidence du discours musical dans ce qu’il a de plus naturel. Comment ne pas succomber aux accents humanistes aussi finement exposés ? Chaque air, chaque récitatif, chaque ensemble participent d’un même souffle, celui de rendre au chef-d’œuvre de Haendel sa lumière originelle. Voici une des plus belles versions du Messie et certainement la meilleure en SACD.

Jean-Jacques Millo

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