Voici une parution exemplaire dans le domaine de la redécouverte baroque française. L’Ensemble La Ferté y ressuscite douze sonates pour violon et basse continue d’un compositeur presque totalement absent des scènes et des catalogues, Charles-François Grégoire de La Ferté (1666-1746), figure énigmatique du tournant des XVIIᵉ et XVIIIᵉ siècles. À travers ce disque, c’est tout un pan discret mais révélateur de l’histoire musicale française qui reprend vie. Publié à Paris en 1707 et dédié au duc d’Orléans, le « Premier livre de sonates pour le violon et la basse » de La Ferté s’inscrit dans un moment charnière de l’esthétique française. La sonate, forme encore largement associée à l’Italie, s’impose alors progressivement en France, suscitant débats et expérimentations. La Ferté se situe précisément à ce carrefour stylistique. Son écriture conserve la clarté formelle, l’élégance rythmique et le goût de la danse propres à la tradition française, tout en intégrant une expressivité plus contrastée et une virtuosité héritées du modèle italien. L’Ensemble La Ferté défend ce répertoire avec ferveur. Au violon baroque, Paulo Castrillo, directeur artistique du projet, déploie un jeu à la fois nerveux et chantant, attentif à la déclamation et aux inflexions expressives. Sa lecture évite toute démonstration gratuite, privilégiant la clarté du discours et la mise en valeur des contrastes internes à chaque sonate. La viole de gambe de Manon Chapelle joue un rôle central dans l’équilibre sonore de l’ensemble. Loin de se limiter à une fonction d’accompagnement, elle dialogue constamment avec le violon, enrichissant la texture par une ligne souple et chaleureuse. Cette présence confère à la basse continue une profondeur expressive rare, renforçant la dimension conversationnelle de la musique. Au clavecin, Nicolas Mackowiak assure une assise harmonique solide et imaginative. L’Ensemble La Ferté parvient ainsi à rendre pleinement justice à une musique qui, sans révolutionner son époque, en reflète avec finesse les tensions esthétiques et les aspirations nouvelles. Grâce à cette réalisation, le compositeur français sort de l’ombre. « Sonates Oubliées » est donc précieux pour tous les mélomanes désireux d’explorer les marges inspirées du Grand Siècle musical.
Jean-Jacques Millo |