Avec « Le Chant des Muses », le label espagnol Eudora signe une parution d’une rare cohérence artistique, à la fois manifeste esthétique et objet musical d’une grande finesse. Fidèle à sa ligne éditoriale exigeante, il propose une traversée sensible de plusieurs siècles de création féminine, pensée comme un récit continu, presque une méditation sur la mémoire et la transmission. Le programme rassemble des œuvres de compositrices longtemps reléguées aux marges de l’histoire musicale, de la Renaissance au baroque, jusqu’à des pages contemporaines qui prolongent le geste sans rupture artificielle. Cette mise en regard, loin de toute démarche militante appuyée, s’impose par l’évidence musicale. À la tête de ce projet, la violoniste Anna Urpina se révèle un guide inspiré. Son jeu, à la fois incisif et profondément chantant, insuffle aux pièces instrumentales une respiration naturelle, laissant affleurer la danse, la rhétorique et parfois une gravité. La soprano María Hinojosa apporte, quant à elle, une lumière vocale d’une grande intelligence stylistique sans jamais sacrifier la spontanéité expressive. Le continuo, remarquablement équilibré, soutient l’ensemble avec une élégance discrète, contribuant à une texture sonore d’une grande lisibilité. La prise de son, d’une précision exemplaire, participe également pleinement à la réussite de l’album. Elle respecte l’intimité des œuvres tout en offrant une profondeur de champ qui met en valeur les timbres et les équilibres. Un enregistrement d’une grande intelligence artistique, appelé à durer bien au-delà de l’actualité discographique.

Jean-Jacques Millo

With “Le Chant des Muses,” the Spanish label Eudora has released a work of rare artistic coherence, both an aesthetic manifesto and a musical object of great finesse. True to its demanding editorial line, it offers a sensitive journey through several centuries of female creativity, conceived as a continuous narrative, almost a meditation on memory and transmission. The program brings together works by female composers long relegated to the margins of musical history, from the Renaissance to the Baroque, to contemporary pieces that continue the tradition without artificial breaks. This juxtaposition, far from any militant approach, is imposed by musical evidence. At the helm of this project, violinist Anna Urpina proves to be an inspired guide. Her playing, both incisive and deeply melodious, breathes natural life into the instrumental pieces, allowing dance, rhetoric, and sometimes gravity to emerge. Soprano María Hinojosa, for her part, brings a vocal lightness of great stylistic intelligence without ever sacrificing expressive spontaneity. The remarkably balanced continuo supports the ensemble with discreet elegance, contributing to a sound texture of great clarity. The exemplary precision of the sound recording also contributes greatly to the album’s success. It respects the intimacy of the works while offering a depth of field that highlights the timbres and balances. A recording of great artistic intelligence, destined to endure well beyond the current recording scene.

Translation Lawrence Schulman