En 1960, peu après la création à Leningrad du huitième quatuor à cordes de Dimitri Chostakovitch, le chef d'orchestre Rudolf Barchaï, ami du compositeur, se vit confier la tâche d'orchestrer l'oeuvre. "Connaissant les réticences du maître vis-à-vis de tout arrangement, je ne vins le voir qu'une fois le travail achevé. Il en fut très content et avec son humour frisant souvent la dérision, il s'exclama "Eh bien voilà qui sonne mieux que l'original ! Nous lui donnerons un autre nom : Symphonie de chambre Op.110a". C'est ainsi que Barchaï relate l'histoire de ce qui est, sans conteste, une des meilleures orchestrations d'une partition de chambre du compositeur russe. Concernant le dixième quatuor à cordes, Barchaï l'orchestra avec l'autorisation de son mentor et lui donna le titre de Symphonie pour Cordes Op.118a. Aujourd'hui, l'Adagio pour cordes du compositeur américain Samuel Barber est aussi connu que le Boléro de Ravel. Tiré du Quatuor à cordes Op.11 en si mineur, il fut orchestré pour le Festival de Salzbourg de 1937 à l'initiative d'Arturo Toscanini. Par ailleurs, comme le souligne Pierre-Emile Barbier dans la remarquable notice de l'enregistrement : "Ce thrène, élégiaque et nostalgique, au lyrisme rappelant celui de Tchaïkovski et quelque couleur mahlérienne, devint la musique funèbre accompagnant à leur dernière demeure des militaires US morts pendant la dernière guerre, puis de hautes personnalités telles Roosevelt en 1945 ou Grace Kelly en 1982...". Côté interprétatif, disons-le sans détours, nous sommes ici en présence de ce qui est certainement le plus grand disque Chostakovitch de cette année commémorative. Musicalement d'abord, avec un Prague Chamber Orchestra, d'une précision, d'une finesse d'exécution rarement entendues. Quand l'on pense que cet orchestre de 25 musiciens joue sans chef et en live, cela est encore plus impressionnant. Développant des coloris automnaux aux basses profondes, aux pianissimi exemplaires, l'orchestre Praguois bouleverse par un discours musical inspiré de bout en bout. Avec eux, rarement Chostakovitch aura paru aussi accessible et humain. Pour l'Adagio de Barber, nous retrouvons toutes ces qualités avec en plus une sobriété de ton, une fragilité d'expression qui rend unique cette vision hors du temps. Techniquement enfin, ce Super Audio CD en pur DSD dont la prise de son est un miracle d'équilibre, restitue pleinement le naturel des timbres dans une image stéréo ou multicanal d'une profondeur idéale que seule la technologie propre au SACD peut délivrer aujourd'hui. Voici un des disques Chostakovitch de "l'île déserte". Un must.
Jean-Jacques Millo |