Avec « Félix & Fanny », la violoniste espagnole, Lina Tur Bonet, poursuit son travail de redécouverte des répertoires oubliés, en confrontant deux œuvres emblématiques de la jeunesse romantique : le « Concerto pour violon en ré mineur » MWV O 3 (première version et version finale) de Felix Mendelssohn (1809-1847), composé à 13 ans, et le « Quatuor à cordes » H 277 (version pour orchestre à cordes) de sa sœur Fanny (1805-1847), écrit à 29 ans. Loin d’un simple hommage familial, le programme interroge les dynamiques de genre, de reconnaissance et de postérité dans l’Europe musicale du XIXe siècle. Le concerto de Felix, rarement enregistré dans sa version originale, révèle une écriture fougueuse, presque pré-schumannienne, où l’influence de ses maîtres se mêle à une inventivité formelle déjà affirmée. Lina Tur Bonet en propose une lecture articulée autour d’une restitution inédite du manuscrit. Le quatuor de Fanny Mendelssohn impose une maturité expressive saisissante. Composé en 1834, il s’affranchit des codes formels pour explorer des climats contrastés, entre lyrisme introspectif et tension dramatique. L’interprétation chambriste, portée par les musiciens de l’Orchestre de Chambre de Toulouse, souligne la densité contrapuntique et la liberté rythmique de cette partition trop rarement jouée. Formée à Madrid, Vienne et New York, Lina Tur Bonet s’est imposée comme l’une des figures les plus singulières du violon contemporain. Concertmaster du Concert des Nations de Jordi Savall, fondatrice de l’ensemble Musica Alchemica, elle conjugue rigueur historique et audace stylistique dans un répertoire allant de Biber à Xenakis. Son approche du violon baroque, nourrie par une connaissance approfondie des sources, s’enrichit ici d’un geste romantique assumé.
Jean-Jacques Millo |