Avec « Da Camera », Nicolas Bacri (né en 1961) signe un disque chambriste d’une rare densité expressive, porté par deux interprètes au service d’une écriture exigeante et profondément habitée. Ce programme, s’inscrit dans la continuité d’un catalogue où la forme sonate, le contrepoint et la spiritualité musicale dialoguent avec les ombres du XXe siècle. Le disque s’ouvre sur le « Notturno ed Allegro » op.151 de 2019, pour violon, alto et piano, œuvre nocturne et tendue, où les lignes se croisent dans une architecture rigoureuse. Nicolas Bacri y déploie une écriture à la fois lyrique et austère, évoquant Britten ou Chostakovitch, sans jamais céder à la citation. La « Sonata da Camera » Op.67 de 1977/97-2000, pour alto et piano poursuit cette exploration du clair-obscur : Elisabeth Balmas y révèle une sonorité ample et nuancée, tandis qu’Orlando Bass sculpte les textures avec une précision quasi chorégraphique. « Tenebrae » Nocturne n°6 op.139 de 2015-16 pour piano seul, est une méditation grave, presque liturgique. Le pianiste y fait preuve d’une retenue expressive remarquable, laissant affleurer les silences et les tensions internes de l’œuvre. La « Sonate n°2 » op.75 de 2002 pour violon et piano, plus expansive, offre un contrepoint lumineux à l’ensemble. Nicolas Bacri joue sur les contrastes dynamiques et les ruptures formelles, dans une veine quasi concertante. Enfin, la « Sonata Variata » op.70 de 2000-01 pour alto seul clôt le programme sur une note introspective : Elizabeth Balmas y déploie une palette sonore subtile, au sein d’une rigueur formelle. Cet enregistrement, à la prise de son remarquable, témoigne d’un art de la condensation et de la variation, où chaque mouvement semble porter en lui l’écho d’une mémoire musicale collective. Loin des effets, « Da Camera » est un manifeste de musique intérieure, soutenu par deux interprètes qui en saisissent l’essence avec justesse et engagement.

Jean-Jacques Millo