Il est des disques qui ne se contentent pas d’interpréter : ils transfigurent. « L’extase », paru chez Pentatone, est de ceux-là. Magdalena Kožená et Mitsuko Uchida s’attaquent à un répertoire exigeant – Debussy (1862-1918) et Messiaen (1908-1992) – avec une audace tranquille et une sensibilité à fleur de peau. Le résultat est un voyage intérieur, entre volupté et mysticisme, où chaque note semble suspendue dans l’éther. Dès les premières mesures des « Ariettes oubliées », la mezzo-soprano impose une voix souple, caressante, presque tactile. « C’est l’extase langoureuse » devient ici une déclaration d’abandon, portée par le piano vaporeux de la pianiste japonaise, qui cisèle les harmonies avec une délicatesse presque irréelle. Les « Chansons de Bilitis » révèlent une palette plus chambriste, intime, où la voix se fait murmure, confidentielle, comme une respiration dans le silence. Mais c’est dans les « Cinq poèmes de Baudelaire » que le duo atteint une forme de gravité sublime. Le souffle wagnérien du cycle trouve en Mitsuko Uchida une architecte sonore hors pair, tandis que Magdalena Kožená explore les abîmes du désir et de la perte avec une intensité rare. Les Poèmes pour Mi – Deuxième Livre – sont souvent redoutés pour leur complexité rythmique et leur spiritualité ardente. Ici, l’une fait preuve d’une clarté pianistique miraculeuse, donnant à chaque motif une lisibilité presque chorégraphique, tandis que l’autre ne cherche pas à dominer le texte : elle le sert. Sa voix devient prière, offrande, parfois cri intérieur. Le cycle, dédié à la première épouse d’Olivier Messiaen, devient alors une liturgie amoureuse, où le sacré et le charnel s’entrelacent. En définitive, dans cet enregistrement, c’est la victoire d’une écoute mutuelle, que l’on perçoit, laissant la musique respirer, vivre, s’épanouir, tout simplement.
Jean-Jacques Millo |