La grande spécialiste américaine de Jean-Sébastien Bach, Rosalyn Tureck (1914-2003), définissait ainsi l’art de l’interprétation : "Je crois que la musique du compositeur est la première chose à considérer dans les différents aspects d’une interprétation. Si difficile soit-il de réunir les données historiques, les diverses conceptions, les usages en matière d’exécution et de moyens d’expression, ce sont bien les aspects structurels et, au plus profond, l’idée génératrice de la forme, de la structure et des sonorités qui comptent au premier chef. Ces éléments ont toujours été de la responsabilité de l’interprète, à toute époque. Si une œuvre d’art musical vaut la peine d’être apprise et interprétée, le travail et la passion qu’on y investira permettra de pénétrer la vision du compositeur". Travail, passion et investissement, sont bien les vertus mises en œuvre par le claveciniste Bruno Procopio pour ce nouvel enregistrement des célèbres Variations Goldberg (hélas, sans livret). "J’ai beaucoup travaillé les enchainements et le rapport des morceaux entre eux. J’ai voulu prendre le temps de réfléchir à la façon d’unir certaines pièces par un caractère similaire, non seulement par les tempi mais aussi par la registration du clavecin. Ce travail a été long et m’a poussé à une interprétation différente de celle conçue initialement. Pour garder la cohérence des blocs, j’ai décidé de jouer certaines pièces plus vite (équivalence de tempo), avec des registres de Plein Jeu (4 pieds), lesquels son rarement entendus dans certaines variations. Les "points d’orgues" à la fin des pièces ne sont pas systématiques ; cela m’a beaucoup aidé à constituer ces blocs de pièces". Cette musique "nocturne" faites pour soulager les affres des insomnies d’un ex-ambassadeur, prend, sous les doigts de Bruno Procopio, une toute autre allure que celle dont nos oreilles son habituées. Chaque variation semble se faire promesse d’un jour lumineux, d’un soleil salvateur. Vision nouvelle, fiévreuse, volubile et chantante comme rarement, ces Variations Goldberg posent un regard neuf sur le chef-d’œuvre de Bach, avec en perspective, une nouvelle variation sur l’interprétation musicale.

Jean-Jacques Millo