Les Valses de Frédéric Chopin sont le fruit d’un poète. Il ne faut pas s’attendre, lorsque nous abordons ces œuvres pour la première fois, à retrouver l’esprit et la lettre des valses viennoises de la famille Strauss. Les valses du compositeur polonais sont tout autres. La poésie qui les anime en fait des pièces d’un autre genre, plus proche du poème que de la danse « Je n’ai rien de ce qu’il faut pour les valses viennoises » disait Chopin. Ses Valses sont comme des stèles, érigées en deux points précis, sur le parcours d’une vie entière. Les premières remontent à la fin de sa période à Varsovie, alors âgé de dix-huit ans, tandis que les dernières furent composées quelques années avant sa mort. Des dix-neuf Valses connues, huit seulement (Op.18, 34, 42, 64) ont été publiées de son vivant. Les années qui suivirent offrirent des opus posthumes s’étalant dans le temps avec une lenteur parfois invraisemblable, comme notamment les Valses en mi majeur, la bémol majeur et mi bémol majeur, composées entre 1827 et 1829 et publiées seulement en 1902. Néanmoins, la poésie que nous content ces partitions est avant tout lyrique. Elle s’épanche dans de vastes et profondes méditations au cœur desquelles l’être tout entier ne cesse de s’interroger. Passant de la flamme pressante d’un pas cadencé à la pensée nonchalante et lasse de l’esprit en proie au doute, elle demeure, aujourd’hui encore, la clef d’un univers bouleversant d’humanité. Car, ne l’oublions pas, le monde intérieur de Chopin est entièrement polonais. « Il est l’amour passionné qu’il eut toujours pour sa patrie, il est la profonde tristesse qu’il ressentait aux malheurs de sa terre natale, mais il est aussi le désir de la revoir, la nostalgie des êtres et des lieux auxquels s’étaient attachées les premières amours de son adolescence ». De la poésie, les doigts de Vittorio Forte n’en manquent pas. Bien au contraire, elle sert un discours musical élégant, fascinant de spontanéité, d’immédiateté, voire d’urgence, comme si ces Valses « éphémères » portaient en elles une fragilité irrémédiable. Tout semble ici se modeler dans le présent, au sein d’une approche tour à tour fervente et passionnée. L’esprit de Chopin jaillit alors comme une évidence, offrant à l’interprète l’instant d’un fragile partage entre le cœur, la pensée et l’âme. Une Vision musicale à découvrir au plus vite.
Jean-Jacques Millo |